Le vélo plébiscité en Allemagne pour la lutte du Covid-19
Source le Reporterre
L’Allemagne a longuement hésité. Confiner sa population pour ralentir la propagation du coronavirus, comme l’ont fait la France, l’Italie ou l’Espagne ? Priver ainsi ses citoyens de liberté est un sujet particulièrement sensible dans un pays qui a connu la dictature nazie puis un régime autoritaire communiste.
Dimanche 22 mars au soir, en accord avec les ministres-présidents des seize Länder, la chancelière Angela Merkel n’a finalement pas annoncé de confinement. Les Allemands restent autorisés à sortir de chez eux à condition qu’ils maintiennent 1,5 mètre de distance avec toute personne extérieure à leur propre foyer. Les rassemblements de plus de deux personnes sont interdits dans l’espace public, à l’exception des membres d’une famille vivant sous le même toit.
Dans l’arsenal de mesures adoptées pour limiter la diffusion du virus, une attire l’attention : depuis le début de la crise, les autorités allemandes encouragent la pratique… du vélo. Le ministre fédéral de la Santé, Jens Spahn, appelle les Allemands « à marcher ou prendre le vélo plutôt que les transports en commun », en complément des fameux « gestes barrières ».
« Le risque de contamination à vélo est quasi nul », a confirmé le porte-parole de la fédération des pneumologues d’Allemagne, Michael Barczok, à l’hebdomadaire Der Spiegel. Selon ce spécialiste, le vélo a tout bon car il permet de se protéger et de protéger les autres : il maintient à distance et évite d’être contaminé en touchant des surfaces sur lesquelles le coronavirus pourrait survivre plusieurs jours comme les barres du bus ou du métro.
Comme tout sport d’endurance, la pratique du vélo est aussi un bon moyen de prévention car « il permet au système respiratoire d’être bien ventilé et mieux alimenté en sang », souligne le magazine. « Vous respirez plus intensément, ce qui signifie que vous nettoyez bien vos poumons, explique Michael Barczok. C’est optimal en matière de protection contre les virus. » Dans son cabinet à Ulm, dans le Bade-Württemberg, le pneumologue recommande systématiquement le vélo à ses patients atteints de bronchite chronique, pour lesquels le jogging est déconseillé.
Le vélo pourrait-il faire baisser le taux de mortalité lié au coronavirus ? Aucune étude n’a été faite sur le sujet. Mais des chercheurs travaillent actuellement sur l’hypothèse d’un lien de causalité entre la pollution aux particules fines et la diffusion du virus. Une pollution de l’air justement largement réduite par l’usage du vélo à la place de la voiture, mais aussi des bus et métros.
Dimanche à Berlin : moins de contamination, plus d’écologie.
Dans les rues de Berlin, les panneaux électroniques qui préviennent d’ordinaire des travaux et des bouchons affichent ce message : « Aller au travail à vélo protège de la contamination. » Les 5.000 vélos en libre-service de la municipalité sont désormais gratuits si la course n’excède pas trente minutes. « En période de crise, se déplacer de façon saine doit être facile », a twitté la ministre régional écologiste des Transports Regine Günther, initiatrice d’un ambitieux plan vélo de 210 millions d’euros. Son service de presse précise que le guidon ne présente pas de risque particulier de contamination mais conseille aux usagers de porter des gants par précaution.
À Berlin comme dans le reste de l’Allemagne, les magasins de vélo sont autorisés à rester ouverts, à condition de maintenir les activités de réparation. « C’est un besoin de première nécessité, estime Jürgen Klöfkorn, qui dirige depuis 32 ans la boutique Räderwerk dans le quartier de Kreuzberg. Il faut bien entretenir les vélos ou que les gens puissent s’équiper ». Entre la crise du coronavirus et le retour du beau temps, il a observé une augmentation de ses ventes de bicyclettes. S’il peut satisfaire la demande pour l’instant, il s’inquiète de difficultés d’approvisionnement dans les mois à venir, car de nombreux vélos et accessoires sont fabriqués dans des usines chinoises partiellement mises à l’arrêt à cause de la pandémie.
Voisin de la boutique, Michael s’est justement équipé récemment : « J’ai vendu ma voiture en novembre dernier pour passer au métro, explique cet architecte berlinois. Avec le coronavirus, j’ai décidé d’aller plus loin et de n’utiliser que le vélo pour me rendre au travail. Ça a été un déclencheur. » Son bureau est à vingt minutes de trajet, ce qui lui permet en outre « de maintenir une activité physique », raconte-t-il.
Dans une ville comme Berlin, où 43 % des foyers n’ont pas de voiture, le vélo est synonyme d’indépendance et de mobilité — quoi qu’il arrive. Avant la crise du coronavirus, Mounia n’avait « jamais conduit de vélo de sa vie ». Elle qui prenait le bus tous les jours pour se rendre à son travail a soudainement pris conscience du risque de contamination : « Trop de monde, les fenêtres fermées, la catastrophe », raconte-t-elle. Le vélo lui permet aussi de porter plus de courses et ainsi de sortir moins fréquemment de chez elle.
Clarisse, jeune Française en stage dans la capitale allemande, a elle aussi acheté un vélo mais s’interroge sur les recommandations des autorités : « Je ne suis pas sûre que cela soit une bonne idée, affirme-t-elle. Le vélo peut être utilisé par les gens comme une excuse pour sortir au lieu de rester confinés chez eux, alors qu’ils n’en ont pas besoin. » Pour Lisa en tout cas, pas de doute : « C’est une bonne chose pour l’écologie. »
Changer ses habitudes, une façon de s’adapter à la crise actuelle mais aussi d’engager une transition sur le long terme. « Cela représente un grand potentiel pour établir de nouvelles routines de mobilité et soulager les villes des trajets inutiles en voiture », explique Burghard Stock, de l’association allemande des utilisateurs de vélo. L’ADFC estime qu’un tiers de ceux qui se mettent en selle à cause du coronavirus resteront fidèles à la petite reine.
Parution : 30/03/2020